Depuis 2018, l'association Kabubu œuvre pour l'inclusion sociale et professionnelle des personnes exilées à travers le sport, domaine créateur de liens. En proposant des activités accessibles à tous et toutes, Kabubu facilite les rencontres entre populations locales et exilées, tout en offrant des opportunités de formation dans le domaine sportif. Nous avons rencontré Nina Dabboussi, Coordinatrice programmes, pour découvrir leurs quatre projets phares - Communautés, Organisme de formation, Ambassad’or et Potenti’elles - et comprendre comment la mesure d'impact social est devenue une clé de leur développement et de dialogue avec leurs financeurs.
Pouvez-vous nous présenter l'association et les 4 projets ?
L’association Kabubu est une structure créée en 2018 avec pour premier objectif de permettre aux personnes exilées et locales de se rencontrer autour du sport qu'on considère comme une langue universelle permettant de créer du lien plus facilement. Aujourd'hui, l'association agit à la fois pour l'inclusion sociale et professionnelle des personnes exilées et aussi pour sensibiliser le grand public sur les réalités du parcours migratoire.
On a 3 grands pôles dans l'association. L'inclusion sociale par le sport d’abord, avec le projet « Communuautés » qui se matérialise par des activités sportives gratuites, ouvertes à toutes et tous. Nous n’avons aucun critère que ce soit au niveau de la langue, du niveau sportif, mais surtout du statut administratif sur nos terrains. Ce sont des activités qui sont organisées à Paris, Lyon et Strasbourg, nos 3 antennes en France.
Le 2e volet d'action est l'insertion professionnelle des personnes exilées. Kabubu est depuis 2020 un organisme de formation et crée des formations adaptées aux personnes exilées pour leur permettre d'accéder à des carrières dans le domaine du sport. L'organisme de formation regroupe ainsi tous nos différents programmes de formation professionnelle. Il y a Splash pour devenir surveillant de baignade, Step pour devenir animateur sportif et LIA pour monter en compétences au niveau du français en utilisant le sport comme outil pédagogique.
A mi-chemin entre le lien social et la montée en compétences, on a le projet Ambassad’or qui permet de devenir bénévole dans le domaine sportif et qui est composé d'un week-end de formation où on apprend aux personnes comment organiser une activité sportive et d'une mise en pratique avec la création en groupe d'un évènement sportif.
Et enfin le dernier projet qu’on suit sur la plateforme Impact Track est Potenti’elles qui regroupe toutes les activités qu'on va dédier spécifiquement aux femmes. Soit pour attirer du public féminin sur nos activités, soit des activités qu'on a développées spécifiquement pour elles comme des séances hebdomadaires ou des sorties par exemple, pour les faire gagner en confiance.
Quel a été le déclic pour vous lancer dans une démarche de mesure d’impact social ?
Nous avons toujours eu en tête de mesurer notre impact pour vérifier si nos activités plaisent et si elles sont efficaces. Du côté financeur, nous avions la volonté de prouver que ce qu’ils financent fonctionne vraiment et qu’il y a un intérêt à continuer à nous soutenir. C’est donc à la fois un enjeu de calibrage des activités et de visibilité. Au départ, nous faisions passer des questionnaires papier ou en ligne, mais rien n’était organisé à l’échelle de l’association. Nous avions la volonté de nous professionnaliser sur ces enjeux, avoir plus de connaissances techniques, pour disposer de données fiables et d’une politique commune à l’ensemble de l’association sur la mesure d’impact.
Vous avez décidé d'avoir des indicateurs communs pour avoir des résultats agrégés sur les projets. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l'intérêt d'une telle démarche ?
En fait l'idée d'avoir des indicateurs communs, c'est très lié à la manière dont Kabubu s'est construit. Au début nous mettions à disposition des terrains de sport sur lesquels nous organisions des activités où tout le monde pouvait venir. Après, nous avons développé les programmes de liens sociaux, puis nous sommes arrivés à la formation professionnelle. On a créé l'association avec l'idée d'un parcours possible et d'une montée en compétences au fur et à mesure qu'on passe d'un programme à l'autre. Nous souhaitons ainsi offrir à la personne la possibilité d'aller plus loin dans l'utilisation du sport pour son développement, que ce soit personnel, social ou professionnel. Quel que soit les programmes, nous avons des objectifs qui ne bougent pas. Nous souhaitions suivre ces données qui sont l’essence de Kabubu.
Nous avons donc réuni les chef.fe.s de projet pour comprendre comment chaque objectif se matérialise. Par exemple comment la question du lien social se manifeste pour chacun des programmes et en faire un indicateur commun. Nous avons fait une 1ère phase de test des questionnaires pour voir si les questions étaient comprises. Nous sommes encore en train de les faire évoluer et de les retravailler.
Comment vous êtes-vous organisés autour de cette mesure d'impact ?
Pour chacun des projets, nous avions les chef.fe.s de projet des différentes antennes, les opérationnels, et la personne qui fait le lien entre les différents projets. L’intérêt de faire en équipe est que cela nous a demandé de nous réexpliquer mutuellement nos projets et comment nous fonctionnons. Les missions au sein de l'association sont divisées entre les pôles et cela nous a permis à travailler ensemble.
Considérez-vous que cela a contribué à fédérer les équipes ?
Tu es obligé de mobiliser tout le monde dessus. Tu ne peux pas, par exemple, faire les questionnaires dans ton coin. Tu dois impliquer les équipes qui sont en contact direct avec le public pour s’assurer que les questions posées sont les bonnes. Nous avons passé un certain temps à nous faire de la traduction mutuelle.
Quels enseignements tirez-vous de vos premiers résultats de mesure d’impact ?
D’abord ce qui en ressort, c’est que cela fonctionne. Les personnes voient un impact sur leur vie pendant le programme et en dehors et elles voient un véritable intérêt à faire une place au sport. Pour beaucoup de personnes, Kabubu est le seul espace où elles rencontrent cette population autre, soit population exilée soit population locale, dans une situation qui n’est pas aidant/aidé. On joue sur un terrain et potentiellement c'est une personne exilée qui va venir expliquer les règles du jeu parce qu’elle est douée en basket et que les autres sont des débutants.
Certains financeurs considèrent que le programme est réussi s’il y a des sorties positives. Mais quand tu interroges les personnes qui participent à ton programme, elles te donnent un avis hyper positif sur leur participation. Parce que le gain de confiance en elle, l'amélioration de leur niveau de français, le fait d'avoir développé une sociabilité, tous les ateliers d'accès au droit, tout ça, c'est une amélioration significative de leur vie, de leur bien-être mental et physique. Et celui-ci n’est pas pris en compte par le financeur. C'est à ça que nous nous sert la mesure d'impact.
Il y a aussi eu des choses qu’on ne soupçonnait pas, notamment des femmes qui nous ont dit que les activités 100% femmes sont super mais que leur but est de participer à des activités mixtes. Les activités 100% femmes sont une 1ère étape.
Ça nous a permis, sur la formation professionnelle aussi notamment, mais aussi sur les programmes de liens sociaux, de vraiment recalibrer le temps qu'on accordait à chaque module. Les personnes ont pu critiquer ouvertement et nous avons vraiment pu refondre nos programmes pour aller dans leur sens. Par exemple, pour le projet Potent’ielles nous sommes passés d’une promotion à des cycles annuels suite aux retours du public.
Cela vous a-t-il permis d’engager un dialogue avec vos financeurs ?
Impact Track, c’est une professionnalisation de notre mesure d’impact. Ca nous permet de systématiser la mesure d’impact, d’avoir des indicateurs qui se retrouvent d’une formation à l’autre et ainsi de pousser ces indicateurs de bilan en bilan. Ca nous a aussi permis de faire une mesure d’impact auprès de ceux qui étaient sortis de nos formations il y a plus d’1 an. Le financeur lui se base sur les résultats à +6 mois pour renouveler les financements, alors que l’impact à +1 an est bien meilleur. Ca nous a permis de rouvrir le dialogue avec les financeurs. Nous travaillons avec des humains. Les humains, ça prend du temps.
Quels sont vos prochains défis ?
Nous sommes dans une période charnière avec les Jeux Olympiques pour toutes les associations qui travaillent dans le domaine sportif. Le sport a eu le vent en poupe avec cet objectif des Jeux et on se pose beaucoup de questions. Tous ces financements qui ont été créés, toutes ces structures qui se sont intéressées au sport ces dernières années… Nous aimerions pérenniser ce soutien et cet intérêt. Nous avons un enjeu important de faire valoir l’impact qu’a le sport sur la vie des gens et notamment sur les personnes exilées.
Ensuite, nous aimerions investir de plus en plus le volet de l’insertion professionnelle. Le fait d’obtenir un diplôme et d’accéder à un emploi a un impact énorme. Derrière les conséquences positives sont démultipliées. Accéder au logement, niveau de vie pour la famille qui augmente… Et pour cela, nous aimerions que de plus en plus de structures nous rejoignent comme employeurs potentiels. On veut qu’elles jouent le jeu, de transformer leur manière de recruter, de former et d’accueillir en interne les personnes, de faire confiance et de les faire monter en compétence en interne. Et donc pour ça, nous aimerions monter plus de formations, les renouveler plus régulièrement dans l'année, et promouvoir davantage nos formations professionnelles.
Et puis nos activités débordent ! Ce qui veut dire qu’il y a un réel besoin à la fois pour les personnes locales et les personnes exilées de pouvoir pratiquer du sport ensemble. Nous aimerions donc pouvoir proposer plus d'activités sportives et si possible aussi, arriver à toucher les clubs de sport. Pour qu’eux aussi s'ouvrent à la pratique en mixité et qu’ils deviennent accessibles pour les personnes exilées.
Vous avez décidé de poursuivre l'accompagnement en 2ème année, dans quel objectif ?
La mise en place a été longue, pour passer par toutes les étapes de la démarche. La 2ème année va être une phase d’amélioration et de corrections, en profitant de toute cette expérience de la 1ère année, sur les choses qui n’ont pas fonctionné ou qu’on n’avait pas anticipées. La gestion des indicateurs est encore compliquée. Nous ne pouvons pas très bien exploiter les données pour le moment. Il y a aussi plein de nouvelles personnes, les personnes ont changé sur les projets, et donc on ne se considère pas comme 100% expert. Il faut se mettre d’accord sur le fait que la 1ère mesure d’impact ne sera pas parfaite mais il faut se lancer. Ce n’est qu’une fois que tu as lancé quelque chose que tu peux en retirer des enseignements et modifier.
Avez-vous un conseil, un mot inspirant pour les porteurs de projet qui hésitent à se lancer dans une démarche de mesure d’impact ?
Il faut voir ça comme un investissement. Cela va prendre beaucoup de temps au début mais il faut le prendre, quitte à se bloquer vraiment des journées de travail qui vont être dédiées à ça. Ensuite testez le !
Je dirais que c’est aussi important d’avoir des regards croisés sur ce que vous faîtes, d’aller demander à d’autres ce qu’ils en pensent, pour avoir un regard neuf et neutre. L’idée étant que ça parle à des personnes qui ne connaissent pas le projet.
On sous-estime la scientificité de la mesure d’impact. Tout peut se jouer à un mot, à un timing qu’il ne faut pas négliger. On ne fait pas passer des questionnaires la veille d’un examen par exemple. Si vos questions sont claires et bien posées, vos données seront fiables et vous savez que dans 3 ans, on pourra continuer à les utiliser sans à revenir dessus ou faire appel à vous.
Pour aller plus loin
👉 Découvrez la mesure d'impact du projet Ambassad'Or !
👉 Lisez notre précédent article de notre série #PartageTonImpact sur Sensoriel
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